Ypres, 11 novembre 1914 (2/4)

Le ‘’Massacre des innocents d’Ypres’’

 

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Un régiment de la Garde prussienne ayant la valeur numérique d’une brigade britannique, la division se sectionne bientôt et chaque régiment court vers son secteur d’assaut. Le massacre des Innocents d’Ypres[1] peut se prolonger dans toute sa dimension tragique.

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14 defense des northumberland fusiliers en premiere ligneFigure 1: La défense des tranchées britanniques en première ligne par les Northumberland fusilliers lors de l'assaut allemand

 

Au Sud de la route vers Ypres, s’est placé le 4ème régiment de grenadiers de la Garde qui arrive à progresser sous un déluge de feu de plus en plus important. Par deux fois, il tente d’organiser un assaut mais par deux fois, il ne peut rien développer à cause du feu britannique. Une portion du régiment parvient, néanmoins, à s’approcher très près des lignes et atteint quasiment le bord sud de la forêt de Herentaghe mais les postes avancés l’ont repéré ; un officier d’artillerie britannique, placé dans un arbre, tente de prévenir ses batteries d’artillerie mais se rend alors compte, avec effroi, que sa ligne téléphonique a été coupé… Qu’à cela ne tienne, il saute de l’arbre et entame une course à pied pour alerter du danger. Il arrive juste à temps et l’on arme alors les shrapnels. L’artillerie démasque son tir alors que les Grenadiers prussiens arrivent sur les tranchées britanniques : le 4ème régiment de Grenadiers prussiens est mis en miettes par le feu britannique et doit refluer…

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Ax00165 1Figure 2: Carte générale des opérations devant Ypres en octobre/novembre 1914 (Source-themapsarchive.com)

 

De l’autre côté de la route d’Ypres, le 2ème régiment de Grenadiers prussiens, découvre l’existence d’un espace vide dans la ligne de front en face de lui et décide d’en profiter. En effet, les hommes chargés de ce secteur à savoir des compagnies du 4ème régiment de zouaves français et le 4th Royal Fusillier britannique, se sont repliés sur une seconde ligne de défense pour être à l’abri des tirs de l’artillerie allemande. Cherchant à regagner leurs positions initiales, Zouaves et Britanniques se heurtent violemment aux Grenadiers prussiens et se font rejeter avec pertes. Ils sont alors suivis dans leur retraite par le bataillon de tête du 2ème Grenadiers prussiens, le bataillon de fusillers, qui veut faire fructifier ce premier avantage. Enfoncés dans le bois, les combattants doivent lutter contre un ennemi terrible à savoir le brouillard qui empêche de voir à quelque pas. Les hommes du bataillon de tête du 2ème Grenadiers émergent enfin de cet infernal brouillard et arrivent alors au château de Veldhoek qu’ils occupent rapidement. Mais à ce moment, ils se voient pris à parti par les soldats britanniques des tranchées autour du château qui ouvrent le feu de leurs mitrailleuses sur eux. Les Prussiens doivent retraiter d’autant que dans la forêt, la contre-attaque britannique s’est organisée notamment avec une attaque sur le flanc droit du 2nd Royal Sussex et du 1st Royal Scots. Les fusillers prussiens se réorganisent en arrière et d’autres groupes du régiment atteignent le château ; mais les nids de mitrailleuses britanniques disloquent tout le régiment qui, perdant en cohésion, se scinde en petits groupes. Les Britanniques essayent d’encercler les Allemands du château qui n’arrivent à s’extirper du piège qu’avec de lourdes pertes : le capitaine von Rieben ramène quelques survivants qui se regroupent de l’autre côté de la forêt. Les Allemands lancent alors une nouvelle contre-offensive mais ils sont devancés sur leur gauche par l’arrivée opportune des fantassins du 2ème bataillon du régiment Duke of Wellington qui les prennent en écharpe. De leur côté, les quelques zouaves français du 4ème régiment s’accrochent au terrain avec férocité ; la 15ème compagnie (4ème bataillon) du capitaine Chevrier ne compte plus qu’une trentaine de soldats mais le commandant Bonnery ordonne tout de même une contre-attaque désespérée à la baïonnette, pratiquement au corps-à-corps, avec les quelques dizaines de zouaves restants de la 13ème compagnie. Malgré leur faible nombre, ils parviennent également repousser les Grenadiers prussiens ! Soutenus par les 14ème, 15ème et 16ème compagnies, les débris de la 13ème compagnie arrivent non seulement à se maintenir mais font reculer les Allemands sur plusieurs points : le simple soldat Paquet fait prisonniers des Grenadiers alors qu’il est entouré d’ennemis, l’adjudant Arsant mène sa section tambour battant alors qu’il est gravement blessé, le caporal Spikling prend la direction de la sienne alors qu’il se voit dernier gradé de sa section…

 

17 corps a corps avec la garde prussienne et les britanniques

Figure 3: Corps-à-corps entre la Garde prussienne et les Britanniques

 

Les Grenadiers prussiens doivent finalement retraiter avec de lourdes pertes mais se regroupant sur la première ligne britannique, les gardes du Kaiser arrivent à se maintenir sur cette position et le statu quo se met en place.

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C’est au Nord que la bataille va se décider. Entre la position de Veldhoek et le bois du Polygone, s’avancent, en effet, les plus de 8000 hommes des six bataillons des 1er et 3ème régiment de Grenadiers. Face à eux, ne subsiste plus qu’un fantôme de brigade puisque la 1ère brigade des Guards britannique, unité d’élite s’il en est, a été réduite, par les combats des jours précédents, à sa version minimale avec un unique bataillon des Scots Guards que l’on a renforcé par deux unités de compatriotes écossais à savoir un bataillon de la Black Watch et un des Cameron Highlanders soit en tout 800 hommes. À sa tête, le général Charles Fitzclarence, intraitable héros des combats des jours précédents et sauveur des ports sur la Manche lors de la journée de Geluveld le 31 octobre précédent.

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Nypl digitalcollections 510d47df a910 a3d9 e040 e00a18064a99 001 wFigure 4: Le général Charles Fitzclarence (Source-New York Public Library Digital Collection)

 

Âgé de 49 ans, cet Irlandais, fils d’officier, ce descendant du roi du Royaume-Uni George IV par une branche illégitime, s’est taillé une réputation de lion dans l’armée britannique depuis près de 20 ans. Pourtant, cela n’est pas allé tout seul : engagé en 1886, il est laissé dans des emplois administratifs jusqu’en 1899. C’est là que, durant la guerre des Boers en Afrique du Sud, il multiplie les exploits durant le célèbre siège de Mafeking en octobre 1899 dont un qui lui vaut la prestigieuse Victoria Cross, la plus haut distinction militaire britannique. Alors officier au Royal Fusiliers, il monte rapidement en grade obtenant l’admiration, le respect mais aussi la crainte de tous ceux qui servent sous ses ordres : surnommé le Démon en raison d’un caractère inflexible et terrible sur un champ de bataille et en dehors, il vient encore, il y a quelques jours d’être fidèle à sa réputation. En effet, alors que, le 30 octobre, l’armée britannique se décompose suite à une attaque très violente des Allemands à Gheluvelt, quelques kilomètres en avant du Bois du Polygone, il prend sur lui d’effectuer, avec des troupes qui ne sont pas sous ses ordres, une contre-attaque insensée à 1 contre 5 qui surprend tellement les Allemands qu’ils se voient coupés dans leur offensive et perdent tous les gains de la journée : le front se reforme et Ypres est sauvée… Fitzclarence est bien resté l’officier impétueux de ses débuts : il n’est pas né celui qui le fera reculer !

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6 officiers des black watchFigure 5: Officiers écossais de la Black Watch

 

Mais malgré Fitzclarence à leur tête, 800 Ecossais arriveront-ils à repousser 8000 Prussiens ? À un contre dix, les descendants de William Wallace s’apprêtent à devoir réaliser l’impossible !

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[1] Selon une expression employée par les Allemands pour désigner les massacres inutiles qui résultèrent des assauts pour Ypres durant les mois d’octobre et novembre 1914. Elle fait référence à un célèbre et tragique épisode de l’Ancien Testament.

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