Ypres 1914 : L'Apocalypse du 11 novembre: Introduction
Figure 1: Soldats écossais de la Black Watch (42nd Foot Infantry) au combat à Ypres ! (Source: Carte postale d'une oeuvre d'Henri-Georges-Jacques Chartier, 1915, tirée du site england1418.wordpress.com)
****
Le 7 octobre 1914, les sœurs catholiques irlandaises de la ville d’Ypres voient défiler les interminables et orgueilleuses lignes de fantassins allemands entrant dans la ville. Edmond, le serviteur attitré de l’établissement ecclésiastique et qui n’a pas pour habitude de garder sa langue dans sa poche, vient trouver deux soldats allemands pour engager la conversation avec toute la gouaille d’un digne héritier de Figaro :
- « Vous semblez en bien grand nombre ici ! »
- « Oh, ce n’est rien comparé au reste ! L’Allemagne est encore pleine de soldats, nous en avons des millions qui vont venir ! Nous sommes certains de gagner, les Français ne sont que des lâches » ! lui répondent en cœur les deux soldats allemands.
- « Et où irez-vous après avoir quitté Ypres, renchérit Edmond. « Calais ! » « Et après ? » « Londres !! » Edmond éclate de rire…
- « Aha ! Ils ne vous laisseront pas arriver là-bas aussi facilement, vous pourrez toujours essayer en prenant vos Zeppelins ! »[1]
****
Comme Edmond l’a lancé aux soldats allemands à Ypres, les Alliés n’allaient pas laisser facilement les Allemands arriver aux portes du Royaume-Uni. Ce que l’histoire militaire devait retenir sous le nom de « Course à la mer » se décompose en plusieurs affrontements dont l’objectif est toujours resté le même : Calais et les ports sur la Manche. Le début du mois d’octobre a pourtant été brillant pour les Allemands : entrée à Ypres le 7 octobre, capitulation de l’immense port d’Anvers dès le 10 octobre. Mais très vite, le front se referme devant cette dangereuse avancée. D’abord au Nord, une vaillante petite armée belge se cramponne fermement à ce qui reste de son territoire national ; de Nieuport sur la mer du Nord jusqu’à Dixmude, soit une quinzaine de kilomètres de front, protégé par la barrière naturelle du fleuve Yser. Ensuite, plusieurs corps d’armée français viennent souder cette ligne avec le reste du front plus au Sud. Mais surtout, à partir de la mi-octobre, c’est l’arrivée dans la région du BEF britannique, aux ordres du général John French, qui, plus que quiconque, souhaite défendre les ports sur la Manche pour empêcher les Allemands de tenter une descente sur le sud du Royaume-Uni. Un point précis va attirer toutes les convoitises : Ypres et son saillant vers la France. Qui contrôle Ypres contrôle les routes vers Dunkerque et Calais mais aussi celles vers Lille et Arras. De plus, les Belges ayant rompu les digues de l’Yser entre Nieuport sur la côte et Dixmude à une vingtaine de kilomètres au Nord de Ypres, Ypres devient, dès lors, la seule voie de passage pour atteindre la Manche. Le nœud est donc vital pour les Alliés comme pour les Allemands. Repoussés par une contre-offensive anglo-britannique initiale, les Allemands vont vivement le regretter puisqu’à partir du 20 octobre, ils tentent à de multiples reprises de faire sauter ce verrou d’Ypres. Ici, nous n’allons pas rentrer dans le détail des opérations entre le 20 octobre et le 10 novembre mais il faut retenir deux points : le premier, la violence des combats qui ont lieu pour la prise de possession de la ligne Dixmude-Ypres et le second, la ténacité incroyable des soldats britanniques et du Commonwealth[2] qui soutiennent des attaques allemandes de grande envergure avec héroïsme alors même souvent que le front a été bien près de craquer comme à Geluveld le 31 octobre : le courage et le dévouement des soldats britanniques endigue un assaut allemand bien près de réussir. Néanmoins, il faut de plus en plus reculer et début novembre, les lignes allemandes s’établissent à moins de 10 kilomètres de la ville d’Ypres.
****
Figure 2: Carte générale des opérations autour d'Ypres en octobre-novembre 1914 (Source-themaparchive.com)
****
Le généralissime allemand, Erich von Falkenhayn, connaît parfaitement la fatigue de ses troupes éreintées par des jours de combat dans la boue : il sait aussi que les troupes alliées et spécialement les Britanniques lui faisant directement face sont épuisées et amoindries. Surtout, il pense abattre une carte maîtresse dans son jeu : il a, en effet, reçu quelques renforts dont un de choix avec le corps de la Garde Prussienne du général comte Karl von Plettenberg qu’il entend utiliser dans une dernière attaque de grande envergure sur toute la ligne de l’Yser et notamment sur ce fameux saillant d’Ypres. Arrivée depuis Arras sur le front du Nord de la France, les Gardes Prussiens sont remontés plein nord direction Menin pour ensuite obliquer à l’ouest vers Ypres : leur moral est excellent et ils ont hâte de monter en ligne. À partir du 5 novembre, malgré quelques violents combats sporadiques pour aligner le front, un certain calme s’instaure ; von Falkenhayn a décidé de faire économiser les munitions en vue de la grande attaque du 10 novembre. Le jour dit, les Allemands lancent l’assaut général dans des conditions météorologiques déplorables… Néanmoins, Dixmude est pris ; les Belges et les fusillers marins français de l’amiral Ronarc’h y ont fait plus que leur devoir. Plus au Sud, la ligne de front s’embrase de nouveau, de Messines jusqu’à Armentières à la frontière française mais sans grand résultat. Pour les Allemands, il faut prendre Ypres à tout prix. Devant cette ville justement, les corps d’armées allemands chargés de la prise de la ville connaissent du retard en raison des pluies torrentielles ; dans le secteur de Ypres, il faut donc reporter la grande attaque au lendemain 11 novembre.
Figures 3 & 4: Le généralissime allemand Erich von Falkenhayn, 1861-1922 (Source-Wikimédia Commons) et le chef du corps expéditionnaire britannique, Sir John French, 1852-1925 (Source-Wikimédia Commons)
****
Pour les Allemands, l’équation est simple : partis de Menin, au Sud-Est de Ypres, leurs troupes doivent emprunter l’ancienne route cheminant à travers les bois pour crever le front des tranchées britanniques. Quelques positions sont plus saillantes : au niveau de la route même, le château de Veldhoek forme un point d’appui tandis que deux grandes forêts flanquent ladite route, au Sud celle de Hereentaghe et au Nord, le bois du Polygone. Les restes des 1ère et 2ème divisions britanniques du Ier corps du général Douglas Haig se sont recroquevillés dans cet espace de moins de six kilomètres de front ; des détachements français garnissent les ailes nord et sud tandis que quelques éléments de réserve britanniques se tiennent en arrière prêts à intervenir en cas de besoin. Face à eux, plus de six divisions allemandes au grand complet appartenant au nouveau groupe d’armées du général Alexander von Linsingen, se préparent à déferler.
****
[1] D’après le récit d’une des religieuses de l’établissement des Sœurs Irlandaises de Ypres.
[2] Le Corps de l’armée des Indes était arrivé mi-octobre dans le nord de la France et participa avec brio aux batailles d’arrêt de l’avancée allemande dans la région de Armentières dans le sud du saillant d’Ypres.
Ajouter un commentaire