11 novembre 1914: L'apocalypse de la dernière journée de la bataille d'Ypres (1/4)
Le Soleil froid de novembre se lève…
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Les ombres de la nuit ne se sont pas encore dissipées sur la plaine d’Ypres qu’une formidable détonation se fait bientôt entendre sur l’ensemble de la ligne britannique. 6 heures 30 sonnent à peine que les artilleurs allemands font, déjà, pleuvoir des centaines d’obus sur les positions du Ier corps d’armée du BEF. Les heures s’écoulent, terribles et angoissantes, pour ces soldats anglais, écossais et irlandais cramponnés à leur tranchées, enfoncés dans la boue et perclus de froid.
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Les Français seront, toutefois, bien présents en cette journée pour soutenir leurs alliés britanniques. On trouve, en effet, des bataillons français répartis tout le long de la ligne de front là ‘’où on a le plus besoin d’eux’’. Douglas Haig a ainsi obtenu la possibilité d’utiliser à partir du 31 octobre les troupes du IXème corps d’armée français à sa guise : il va donc s’en servir pour colmater les brèches. Au Nord-est de Ypres, on a, à cheval sur les routes décharnées de Saint-Julien et de Passendaele, les bataillons de réserve du 68ème et du 90ème RI (33ème brigade, 17ème division) : ces troupes sont épuisées par les combats continuels des jours précédents et se sont enterrées prêtes à se faire tuer sur place : le moral est pourtant bas, les cadres ne sont presque plus là, ces bataillons sont au bout. Plus au sud, dans le village de Zillebecke, le gros de la 33ème brigade du général Jean-Baptiste Moussy soutenu par la brigade territoriale de la 17ème DI.
Figure 1: Sir Douglas Haig (1861-1928), commandant le Ier corps britannique en 1914 et l'entier BEF à partir de 1915 (Source-Wikimédia Commons)
Figure 2: Le général français Jean-Baptiste Moussy (1855-1915), un rude Parisien de la Vilette qui disparaîtra hélas quelques mois après Ypres en mai 1915 (Source-Photographie issue du site indre1418.canalblog.com)
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Il y a quelques jours, le 6 novembre, ces troupes ont repoussé un formidable assaut allemand : le général Moussy, fidèle au panache français, a dû se placer en tête de ses troupes pour une charge, à cheval et cravache en main, de la dernière chance avec tous les hommes disponibles de son état-major : les Allemands ont été balayés par cet ouragan et Moussy se voit désormais titré ‘’Le Héros d’Ypres’’… Nul doute que les Allemands n’auront pas forcément envie de revenir du côté de Zillebecke.
Environ à un kilomètre en avant de Zillebecke, dans les environs de Verbranden Mollen, le 7ème hussards du colonel Simon, cavalerie divisionnaire de la 17ème DI, a creusé ses tranchées et attend. Encore plus au sud de Ypres, du côté de Saint-Eloi, la 32ème DI (15ème, 53ème, 80ème et 143ème RI, 1er hussard) du général Achille Bouchez (appartenant au XVIème corps d’armée français du général Grossetti) assure le lien avec le reste du front et la frontière française. En revanche, au centre des positions britanniques, aux alentours du château de Veldhoek, flanquant la route centrale vers Ypres, on peut notamment trouver les compagnies du 4ème régiment de marche des Zouaves (38ème DI, général Muteau, 4ème corps d’armée) qui arrivent directement de Bizerte et de Tunis. Composé de quatre bataillons (3ème, 4ème, 5ème, et 11ème) issus du 4ème Zouaves, il a vu ses derniers jours être particulièrement agités. Alors que le 5ème bataillon est détaché depuis une semaine à la 42ème DI et des Belges vers Nieuport sur la cote de la Mer du Nord, les trois autres se trouvent aux prises avec les Allemands devant Ypres spécialement lors d’une très violente attaque le 8 novembre : le 11ème bataillon (Lagarde), presque submergé, est quasiment sauvé par le 4ème (Bonnery) devant Veldhoek mais les pertes ont été lourdes : deux compagnies du 4ème bataillon n’ont plus d’officiers, on ne compte plus que 200 hommes au 11ème bataillon qui doit être relevé… Les Français sont épuisés…
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Figure 3: Zouaves français en 1914 (Source-Photographie issue du site mudusbellicus.fr)
Figure 4: Carte générale des opérations devant Ypres en octobre/novembre 1914 (Source-themapsarchive.com)
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De l’autre côté, la situation n’est guère enviable non plus pour les fantassins allemands se préparant à l’assaut de positions dont la plupart savent les difficultés. Les Bavarois, Wurtembergeois et autres Saxons des divisions de réserve maintiennent un certain enthousiasme mais pour ces territoriaux, la guerre n’a rien de professionnel et ils vont bien vite en voir toute l’horreur.
Une seule division semble satisfaite de monter en première ligne : celle de la Garde Prussienne bien entendu ! L’élite de l’armée allemande va enfin avoir l’occasion de montrer à l’ennemi sa redoutable efficacité. Pour ces soldats, triés sur le volet, la fierté de faire partie de cette unité d’élite impose une dignité et une foi particulière dans le fait de combattre : la victoire se doit d’être au rendez-vous, brillante et éclatante. La veille, les officiers ont parlé à la troupe et rappelé les grands souvenirs de la Garde Prussienne ; c’est là les récits héroïques de Leuthen en 1757 avec le grand Frédéric II de Prusse ou de Saint-Privat déjà contre les Français en 1870[1]. Il faudrait faire au moins aussi bien que ces glorieux aïeux.
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Le cauchemar commence…
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Figure 5: L'héroique commandant de la 1ère division britannique, le général Herman James Landon, 1859-1948 (Source-Wikimédia Commons)
Aux alentours de 9 heures-9 heures 30, l’artillerie allemande reçoit l’ordre d’allonger le tir pour permettre à l’infanterie de commencer sa marche vers les objectifs désignés. Très vite, les Britanniques répliquent violemment, faisant crépiter mitrailleuses et carabines. Pour les Saxons novices de la 54ème division de réserve, le combat devient trop intense et à peine ont-ils atteint les premiers fourrés du bois du Polygone qu’ils sont lourdement repoussés par des éléments ad hoc de Coldstream Guards et de Black Watch et surtout par le feu très précis des hommes du 1st King appartenant à la 6ème brigade de la 2ème division du général Monro. Sur l’aile gauche allemande, la situation n’est pas gagnée non plus pour les Allemands puisque la 4ème division de Poméranie est repoussée avec de lourdes pertes près du village de Zandvoorde par des bataillons de la 1ère division britannique de Landon avec notamment les héros de Gheluvelt (combat très violent du 31 octobre précédent) à savoir les South Wales Borderers et les Ecossais de la Black Watch.
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Pendant ce temps, à l’extrême-droite de la ligne britannique, au sud de Ypres, les hommes du XVème corps allemand avec les 30ème et 39ème divisions, épuisés par les combats des jours précédents, ne peuvent plus lutter que mollement et pataugent face aux tranchées britanniques tenues par les cavaliers de la brigade Cavan (3ème division de cavalerie de Byng). Soumis à un très rude bombardement depuis plus de trois heures, les hommes des Royal Dragoons et du 10th hussars sont bien contents de voir les malheureux fantassins allemands être obligés de rebrousser chemin devant le feu infernal de l’artillerie britannique…
Figure 6: Le distingué général Hugo von Kathen, 1855-1932, grand noble poméranien commandant la 39ème division allemande formée de conscrits des provinces du Rhin (Source-Wikimédia Commons)
Figure 7: Le 10th Hussars britannique au bivouac (Source-National Army Museum, Chelsea, London)
De même, pour les Allemands poussant plus loin, au sud des positions britanniques : ils tombent sur le restes des troupes françaises du IXème corps notamment le 7ème hussards qui se distingue tout particulièrement. Le colonel Simon, nommé seulement le 1er novembre dernier, a sans doute à cœur de bien faire avec son nouveau régiment. Réunissant ses quatre escadrons, il les fait se recroqueviller dans leurs tranchées alors que le bombardement ennemi se déchaîne. Mais alors que l’infanterie allemande s’annonce, voilà les hussards qui sortent des abris pour une téméraire contre-offensive à pied ! Le capitaine Thomassin, tué et le lieutenant Boyer tombent mais l’allant des hussards est irrésistible et les réservistes wurtembergeois et bavarois du secteur n’ont d’autre choix que de se replier : on ne les verra plus de la journée sur ce point ! Le 7ème hussards sera cité à l’ordre de l’armée pour cette action téméraire.
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Juste en arrière, près du village de Zillebecke, à environ 1,5 kilomètres de Verbranden Mollen, la 33ème brigade du général Moussy avec quatre bataillons des 68ème et 90ème RI, éreintée par les combats terribles du 6 novembre dernier, se voit quelque peu épargnée par les combats du jour : sans doute, les Allemands n’ont plus vraiment envie de se frotter à elle après avoir autant buté dessus ! Un peu plus au sud, vers Saint-Eloi, la 32ème DI du 16ème corps d’armée français n’a presque pas à intervenir mais tient convenablement ses positions face au bombardement allemand des premières heures.
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Enfin, au nord-est de Ypres, à l’aile droite allemande, les réservistes saxons de la 53ème division et prussiens de la 37ème brigade sont également tenus en respect par les troupes alliées du secteur ; le reste de la 33ème brigade française, des batteries d’artillerie françaises et britanniques ainsi que certaines éléments britanniques ont raison de l’allant de ces réservistes allemands qui n’en peuvent plus réellement plus… Les Franco-Britanniques aussi ce qui, de fait, stoppe les combats d’eux-mêmes dans ce secteur…
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Au quartier-général britannique, on peut exulter en voyant les assauts allemands perdre de leur allant : seulement, il reste le danger principal à savoir la Garde Prussienne. Arrivant droit sur le centre fragilisé des positions britanniques entre le bois du Polygone et la route de Ypres, les fantassins de la Garde du Kaiser sont splendides. Un certain nombre d’entre eux, fierté oblige, arbore encore le traditionnel casque à pointe, toutefois recouvert d’une housse. À leur tête, les officiers dirigent les manœuvres, calmes et impassibles, sabre au clair. Malgré l’artillerie qui commence à les prendre pour cible, la division de la Garde Prussienne continue, imperturbable, son attaque et bientôt émergent complètement du brouillard, plus de 17 500 soldats d’élite qui se jettent sur les positions britanniques avec la fureur d’une bête sauvage qui n’a plus mangé depuis trop longtemps...
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[1] Leuthen, 1757, victoire décisive du Grand Frédéric sur les Autrichiens et Saint-Privat, victoire sanglante des Allemands sur les Français lors de la guerre de l’été 1870.
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