Le Prince Dominik Radziwiłł (1786-1813), un chevalier polonais dans la Grande Armée (1/2)
Un chevalier au temps de l’Empire
« Il était l’un des hommes les plus riches de Pologne, courageux, bienveillant, accessible, charmant en société, et si regretté, lui, si jeune encore… » (Franciszek Gawroński, historien polonais du XIXème siècle)
Figure 1: Portait du prince Dominik Radziwill portant l'uniforme de major des chevau-légers polonais de la Garde Impériale de Napoloén en 1812 (Source-Wikimédia Commons)
Nous sommes dans les derniers jours du mois d’octobre 1813. Pour la seconde fois, l’Aigle vaincu, baissait la tête. Pire que lors du désastre russe, l’année précédente, la défaite militaire s’accompagnait, cette fois, de la défection de tous les alliés de la veille. Aux cotés de la Grande Armée, seules deux nations indépendantes unissaient encore leur destin : les Italiens et les Polonais. Mais si les premiers défendaient leur sol national face aux ennemis de toujours, les Autrichiens, que signifiait encore le maintien du contingent polonais aux cotés des Français alors que la frontière polonaise s’éloignait définitivement et qu’il faudrait maintenant défendre davantage le Rhin que la Vistule ? La fidélité, quasiment proverbiale, des Polonais fut alors ébranlée d’autant qu’après la perte tragique de leur chef charismatique, le Prince Poniatowski, mort en héros lors de la bataille de Leipzig, des voix se firent entendre pour refuser de continuer à servir Napoléon. Ce dernier trouva alors nécessaire de réunir tous les officiers polonais, le 29 octobre sur la route de la France, pour les haranguer tout en leur laissant le choix de partir. Alors qu’il écoutait les récriminations de certains officiers réticents, il se retourna brusquement et avisant un officier à la mine aussi mélancolique qu’élégante, lui lança : « Et vous ! Voulez-vous me quitter ? ». Sortant de l’ombre, l’homme, faisant admirer son uniforme de colonel des chevau-légers polonais de la Garde Impériale, répliqua, piqué au vif, presque en pleurs : « Ah sire ! Pour qui me prenez-vous ! ». Remettre en cause l’honneur du prince Dominik Radziwiłł, c’était remettre en cause sa propre raison de vivre.
Le poids des ancêtres
Le prince Dominik Radziwiłł voit le jour le 4 août 1786 dans le château familial de Biała Podlaska. Rarement un enfant ne put se targuer d’une si prestigieuse ascendance. En effet, la famille du Prince n’était pas simplement une famille de la grande noblesse, elle était la plus grande famille du grand-duché de Lithuanie et l’une des plus puissante de la république nobiliaire de Pologne-Lituanie. Puisant ses origines dans un chevalier légendaire du XIVème siècle, elle avait de tout temps arbitré les conflits politiques en Lituanie puis en Pologne. Si aucun des princes Radziwiłł ne régna en tant que roi, rien ne pouvait se faire sans leur accord et l’on ne compte plus les illustres ancêtres du prince Dominik qui eurent une influence majeure dans le destin de cette région de l’Europe. Citons le prince Mikołaj le Noir (1515-1565) ou bien le Prince Mikołaj Sierotka (1549-1616) : le premier, grand chancelier de Lithuanie, avait été le plus puissant magnat de son temps et reçut le titre de prince par Charles Quint en personne en 1547 ; le second, grand-maréchal de la cour et voïvode de Vilnius, avait été un Prince du Saint Empire romain germanique et surtout, en plus d’être un bon militaire, avait été un formidable mécène des arts, des sciences et de la culture. On retiendra de lui l’un des joyaux de la famille de Radziwiłł : le château de Nesvizh en Biélorussie.
Figure 2: Palais natal du Prince à Biala Podlaska (Source-Wikimédia Commons)
Le père même du Prince semblait en retrait par rapport à ses prédécesseurs alors qu’il occupait pourtant des fonctions prestigieuses : grand chambellan de la cour de Pologne, il était également le staroste soit le gouverneur de la province de Mińsk. Du côté maternel, l’ascendance n’en était pas moins prestigieuse puisque la mère du prince Dominik, la princesse Sophie-Frédérique était issue de la famille allemande des Thun et Taxis, lignée souabe parmi les plus renommées d’Allemagne notamment pour avoir créée le service postal sous Charles Quint.
Si le prince Dominik pouvait ainsi s’enorgueillir d’appartenir à une famille aussi prestigieuse, il va vite être confronté aux cruelles réalités d’un héritier d’une riche lignée puisque son père meurt l’année même de sa naissance le laissant seul garant de son immense héritage. C’est son oncle, le truculent prince Karol Stanisław Radziwiłł (1734-1790) qui va l’élever dans ses premières années. Voïvode (gouverneur) de Vilnius, ce grand seigneur avait tout de la prodigalité du noble polonais expansif et donna au très jeune prince, l’exemple même de la générosité et de l’amour de la patrie. Sa mort rapide laissa le prince Dominik avec un précepteur polonais qui remarqua bien vite ses qualités intellectuelles mais ce cessait de demander qu’on ne le brusque pas.
Figure 3: L'oncle du jeune Prince Dominik, le puissant prince Karol Radziwill (Bibliothèque nationale polonaise)
Le plus grand seigneur de Lituanie à seulement 14 ans !
Lorsque la princesse Sophie-Frédérique s’éteint le 31 mai 1800, le jeune prince n’a que 14 ans et doit encore attendre quatre ans avant de pouvoir jouir réellement de ses terres et de ses biens. C’est le très puissant prince Czartoryski qui va alors le prendre sous son aile l’installant dans son magnifique domaine de Puławy où s’est créée une sorte d’école pour jeunes nobles de toute la Pologne aux frais de ce prince flamboyant. Dans ce cadre d’insouciance, le jeune Prince Dominik va pouvoir mener une existence de quiétude pendant près de trois ans. Bénéficiant d’un argent de poche conséquent issue de son héritage, il va faire preuve de la plus grande prodigalité, dilapidant des centaines de milliers de roubles par mois pour égayer ses camarades par des spectacles pyrotechniques ou des pièces de théâtres. Tout le monde se souviendra de lui comme du meilleur camarade possible.
En 1804, le Czar Alexandre Ier, qui sait tout l’intérêt de fidéliser un prince aussi puissant, le nomme chambellan de la cour impériale et lui propose de rester à Saint-Pétersbourg d’où il pourrait gérer ses terres tout en profitant des avantages de la vie sociale de la haute société russe. Pour cela, le Czar accepte de prêter au Prince l’argent nécessaire pour régler ses dettes importantes. Le prince Dominik est touché des propositions du Czar et accepte évidemment le prêt mais pour lui, hors de question de rester éloigné de son patrimoine familial : il veut retrouver le château familial de Nesvizh et il l’aura. Depuis 1800 et la mort de la princesse sa mère, le domaine avait été, en effet, géré par un envoyé du Czar qui ne s’était pas gêné pour mener la grande vie et y faire des fêtes d’importance. Il fallait que cela cesse.
Figure 4: Le château de Nesvizh (Aquarelle de Jozef Peszka, Wikimédia Commons)
Revenu dans les terres ancestrales des Radziwiłł, le prince Dominik va s’atteler à restaurer l’antique puissance de ses aïeux. Bientôt, son domaine de Nesvizh devient un lieu d’exception et malgré sa localisation éloignée de tout centre urbain, Mińsk est 115 kilomètres à l’est et Vilnius à 225 kilomètres au nord, on appelle Nesvizh, la « petite Varsovie » pour le luxe déployé, le faste des réceptions et le rayonnement exercé par le lieu. Tapisseries en soie fine parfumée, miroirs éclatants, statues de bronze, écuries en marbres blanc, le Prince n’épargne rien pour donne de la magnificence au palais de ses ancêtres. Cette restauration du château ancestral durera de 1805 à 1809. Le prince peut également donner libre cours à sa passion quasiment maladive pour les chevaux : il en possèdera jusqu’à 300 et leur renommée était telle que l’on estimait leur valeur à plus de 1 million de roubles.
Un mariage de raison est organisé pour lui le 31 janvier 1807 avec une épouse dont la position du père montre bien à quel camp on cherche à rattacher ce jeune prince. En effet, la comtesse Izabella, alors âgée de 16 ans, était la fille d’un ancien grand maréchal du royaume de Pologne s’étant opposé aux velléités constitutionalistes des années 1790 et rallié depuis à la Russie ; il avait même siégé au conseil secret du Czar Paul Ier en 1797. On cherchait donc à rapprocher le prince des sphères russophiles de la noblesse lithuanienne : personne ne pouvait oublier que, malgré ses 21 ans, le prince Dominik possédait le domaine terrien le plus important de Russie occidentale avec près de 120 000 paysans serfs dans ses terres soit près de 250 000 personnes en tout vivant dans sa vassalité.
Mais contre toute attente, ce mariage ne dura que quatorze jours et bientôt, tout le monde en comprit la raison lorsque le Prince s’afficha avec l’une de ses cousines, la jeune Teofila Morawska alors âgée de 16 ans. Rencontrée au printemps 1806, Teofila avait tout pour séduire le feu follet Prince Dominik : d’une beauté reconnue dans tous les cercles nobiliaires, elle se démarquait par un comportement inhabituel pour une femme de la haute noblesse. Fille d’un général héros des guerres contre les Russes en 1792-1794, Teofila montait à cheval, fumait, buvait, jouait aux cartes comme un soldat, était aussi adroite dans ses paroles qu’au tir au pistolet, activité qu’elle affectionnait tout particulièrement. Le Prince Dominik et elle se rejoignaient particulièrement dans l’amour qu’ils avaient de monter à cheval pour de longues ballades dans les immenses forêts autour de Nesvizh. Ils avaient pour eux toute la fraicheur de leur jeune âge mais bientôt l’affaire fit scandale.
Figure 5: Portrait de Teofila Morawska portant dans ses bras sa fille Stefania en 1810 (Source-Tableau de Ksawery Lampi, Musée National de Varsovie)
Avec Teofila, la vie en province à Nesvizh ou même à Vilnius n’est plus possible en raison du scandale de cette relation extra-conjugale. Aussi, les deux amants décident d’aller s’installer à Varsovie au milieu des cercles les plus brillants mais aussi davabntage tolérants de la capitale polonaise. Cela permettait aussi de s’éloigner de ce pouvoir russe un peu trop ‘’observateur’’ puisque cela faisait traverser la frontière pour arriver dans le nouveau Grand-duché de Varsovie. Le prince peut mettre à profit le fait que sa famille possédait un somptueux palais dans la capitale : l’actuel palais présidentiel polonais. Un lieu qui va vite devenir un espace pour les plus somptueuses fêtes dans le plus pur style polonais. Seulement nous sommes en 1807 et l’Histoire va rattraper le prince Dominik. En effet, parmi les invités des réceptions se trouvent un certain nombre d’officiers de la nouvelle armée polonaise levée par Napoléon, lui le ‘’libérateur’’. Des idées qui vont commencer à travailler l’esprit du jeune prince. Mais en attendant, il nage dans le bonheur avec Teofila et décide de voyager à travers l’Europe avec elle : c’est ainsi que le 29 février 1808, à Graz, en Autriche, un enfant scellait leur union : un fils qui sera prénommé Alexandre.
Le 3 mars 1809, il épousait enfin Teofila à Mińsk et puis de nouveau en voyage notamment à Berlin pour visiter son cousin, le prince Antoni marié à une princesse prussienne. C’est ensuite bientôt la découverte de Paris à la fin de l’année où les deux époux vont mener la grande vie parisienne pendant plusieurs mois. C’est d’ailleurs là que, le 9 décembre 1809, naitra leur second enfant, cette fois-ci une fille, la princesse Stefania. Mais sans que l’on sache la raison, le Prince revient brutalement à Nesvizh en août 1810, seul et avec une idée fixe en tête : s’engager dans l’armée polonaise au service de la France de Napoléon Ier… Une décision irrévocable qui allait être lourde de conséquences et emmener le Prince sur les chemins de la gloire mais aussi du drame...
Figure 6: Vue du château de Nesvizh (Source-Bibliothèque nationale polonaise)
Bignon Pierre-Louis, Souvenirs d'un diplomate sur la Pologne (1811-1813), Paris, 1864.
-Choiseul-Gouffier Sophie de, Réminiscences sur l'Empereur Alexandre Ier et sur l'Empereur Napoléon Ier, J. Besançon, 1862.
-Chłapowski Dezydery, Mémoires sur les Guerres de Napoléon 1806-1813, Paris, 1908.
-Dupuy Victor, Souvenirs militaires (1794-1816), Paris, 1892.
-Sołtyk Roman, Souvenirs militaires et historiques de la campagne de 1812, Paris, 1836.
-Załuski Józef, Les Chevau-légers polonais de la Garde 1812-1814, 1855,
-Jastrzębska Magdalena, Księżna Dominikowa. Opowieść o Teofili z Morawskich Radziwiłłowej, Łomianki, 2014.
-Libicki Marcin, Histoire de la noblesse polonaise, Paris, 2011.
-Paczuski Adam et Morawski Ryszard, Wojsko Księtwa, Ulani: Gwardie honorowe, Pospolite ruszenie, żandarmeria konna, Warszawa, 2009.
-Plasserand Yves (dir.), Histoire de la Lituanie, Crozon, 2009
-Sokolov Oleg, Le combat de deux Empires, Paris, 2012.
-Champonnois Suzanne & de Labriolle François, Dictionnaire historique de la Lituanie, Crozon, 2001.
-Collectif, Lietuviškoji tarybiné encyclopedja, Vilnius, 1982.
Ajouter un commentaire